Le numérique peut vous rendre moins efficace ! Comment y remédier ?



iphone couteau suisse portable

Source : Jacobsmedia

« Toujours prêt ! » Dans un monde où notre attention est sans cesse sollicitée, où nous sommes toujours sommés de répondre dans l’instant, la devise scoute pourrait aisément être attribuée à « l’homo numericus »… Avec un smartphone en guise de couteau suisse.

L’automatisation et les applications mobiles nous mènent à assumer les tâches de dix personnes à la fois. Là où auparavant d’autres se seraient chargés de réserver un billet d’avion, réaliser le paiement, trier et rédiger notre courrier, nous pouvons désormais être tour à tour caissier, secrétaire, assistant administratif, vendeur en l’espace d’un instant.

Mais paradoxalement, les fonctionnalités des nouvelles technologies peuvent nuire à notre efficacité au lieu de l’améliorer.

Les effets du multitâche sur le cerveau

Croire que nous sommes capables de mener de front plusieurs tâches sans perdre en efficacité est une illusion. Les neuroscientifiques, comme le Dr Daniel Levitin, s’accordent à dire que nous ne pouvons pas effectuer deux activités en même temps. En réalité, nous passons de l’une à l’autre, le plus rapidement possible. Mais ce « va-et-vient » a un coût énergétique croissant pour notre cerveau.

Earl Miller, expert mondial sur la question de l’attention partagée, utilise une image marquante : on voudrait s’imaginer comme un jongleur habile capable de maintenir toutes ses balles en l’air mais notre cerveau fonctionne plutôt comme le clown, courant entre ses assiettes chinoises pour les faire tourner avant qu’une d’elles ne tombe.

Or, passer d’une activité à l’autre épuise plus rapidement les réserves de glucose de notre cerveau. En effet, « multitasker » augmente la production des hormones de stress (cortisol et adrénaline). Même la manière d’apprendre s’en trouve modifiée : le multitasking « dévie » l’information et empêche de la stocker dans la zone du cerveau associée à la mémoire. Enfin, les hormones incriminées sont encore plus néfastes pour l’attention et la mémoire que le cannabinol, présente dans le cannabis. Certains neuroscientifiques n’hésitent pas à comparer ce qu’il se passe dans notre cerveau lorsque nous « multitaskons » à une véritable addiction.

La prise de décision multiple affecte négativement notre performance

Par ailleurs, il est avéré que plus nous prenons de décisions, même les plus insignifiantes, moins nous sommes aptes à prendre les suivantes. De manière contre-intuitive, les petites décisions consomment autant d’énergie que les grandes. Le risque est alors d’arriver à saturation après une série de décisions peu importantes et de commettre une erreur sur une décision cruciale.

Les psychologues désignent ce phénomène bien connu des dirigeants par le nom de fatigue décisionnelle. Pour éviter cela, Barack Obama a ainsi expliqué dans une interview qu’il n’avait que deux couleurs de costumes différentes et ne choisissait pas ce qu’il mange, afin de pouvoir se concentrer sur les décisions importantes. Mark Zuckerberg a également revendiqué de toujours porter le même t-shirt gris afin de « se simplifier la vie au maximum pour avoir le moins de décisions à prendre ».

cerveau

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L’email déjà dépassé ?

A la différence du courrier postal, l’email arrive en flux continu, toute la journée. C’est un stimulus qui demande une réaction immédiate : cliquer ou ne pas cliquer, répondre ou non, archiver et si oui, comment ?

La réception d’un mail ne donne pas d’indication extérieure sur sa nature, ni son contenu. La petite alerte sur notre écran pourrait tout aussi bien être un spam, qu’un message professionnel ou intime de la plus haute importance. Cela joue sur notre comportement et nous incite à vérifier notre boîte mail de manière compulsive.

Or le mail sollicite souvent notre attention… pour pas grand-chose. Être pris dans une boucle de messages qui ne nous concernent pas est irritant car il faut tout de même analyser le contenu et choisir de l’écarter ou non.

Ainsi, apercevoir un courriel non lu dans la boite mail, alors qu’on essaie de se concentrer sur une tâche longue, peut baisser notre QI de 10 points, explique le Dr. Levitin.

Le « multitasking » et la prise de décision multiple se retrouvent dans tous nos usages quotidiens, auxquels on peut attacher deux traits caractéristiques.

  • L’intempestivité. Qui n’a jamais vu son voisin répondre au téléphone en pleine réunion pour s’excuser de ne pas être disponible ? Aujourd’hui, la norme sociale semble impliquer que chacun doit être joignable et réactif à tous moment. Ne pas répondre peut être perçu comme un manque d’égards. L’usage d’aujourd’hui est aux antipodes de ce qui se faisait au tout début du téléphone, lorsque les grands bourgeois du XIXe avaient l’impression d’être sonnés comme des domestiques.
  • « FOMO», ou « fear of missing out ». Cet acronyme désigne la peur de passer à côté d’une information ou d’un événement socialement important. Le professeur Dan Ariely propose une définition plus fine : « la peur de regretter d’avoir pris la mauvaise décision sur la gestion de son temps ». Cette forme d’anxiété sociale expliquerait aussi pourquoi nous profitons de chaque plage de temps libre pour vérifier compulsivement nos mails ou les réseaux sociaux.
messagerie instantanée

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L’email si fréquent en entreprise, utilisé de façon similaire pour diffuser un document un lien, une photo en attaché, n’est pas le médium privilégié des plus jeunes. Les adolescents plébiscitent les moyens de communication faisant la part belle à l’hyper-immédiateté :

  • la messagerie instantanée comme Whatsapp, Facebook Messenger ou Line ;
  • les applications de partage de photo ou vidéo s’affichant seulement quelques secondes, comme Snapchat ;
  • la dernière marotte en date des adolescents s’appelle Gossip : application sortie en mai 2015, elle permet d’afficher des ragots anonymes pendant 10 secondes maximum.

Ainsi, les derniers usages vont même plus loin et prennent en otage l’attention de l’utilisateur. Le chantage est clair : réagissez maintenant ou jamais !

A long terme, la productivité de tous est en jeu. Pour les organisations, la transformation numérique est une opportunité de repenser les usages, d’inventer les formes d’organisation et de communication du futur. Alors comment s’adapter aux caractères intempestifs des nouveaux outils de travail ?

Quelques premières pistes !

Heureusement, de petits changements dans nos habitudes peuvent aider à lutter contre la perte en efficacité :

  • Ouvrir sa boîte mail ne doit pas être la première chose qu’on effectue le matin. En faisant cela on se place en position de réaction aux stimuli, et pas en position de contrôle de son environnement.
  • Le mieux est de planifier une tâche importante d’une à deux heures en début de matinée avant de regarder ses emails.
  • Désactiver les messages d’alerte intrusifs à certaines heures, ou vérifier son courrier à heures fixes.
  • Appliquer la méthode Pomodoro de gestion du temps : le principe est d’utiliser un minuteur pour programmer des périodes de travail de 25min en alternance avec une courte pause.
  • Utiliser des extensions comme StayFocused (pour Chrome) ou LeechBlock (pour Firefox) pour bloquer l’accès à des sites chronophages.
  • Plus radical encore, des logiciels comme Ommwriter ou Isolator éliminent toute source de distraction pour transformer l’écran en une « bulle de concentration ».

 

Pour aller plus loin

« Why the modern world is bad for your brain », 18/01/2015, The Guardian

« Travailler sans se disperser ou comment lutter contre la procrastination », 09/10/2015, Le Monde

« 6 things the most productive people do every day », juin 2014, par Eric Barker

« How the most successful people manage their time », 17/10/2014, Time Magazine