L’industrie 4.0 et la fabrique à innover par Wittenstein : salle comble pour le Stammtisch 4.0



Wittenstein

Source : Wittenstein AG

La 4e édition du Stammtisch 4.0 a fait salle comble dans le très beau cadre de la CCI Alsace. Plus de 100 personnes sont venues écouter le Dr-Ing. Manfred Wittenstein (Wittenstein AG) présenter son expérience de l’industrie 4.0, suivie d’une table ronde avec 2 acteurs majeurs du tissu économique alsacien. Jean François BAPTISTE (Directeur Général de HAGER Controls), Olivier OFFNER (Directeur Technique SALM).

Ce cycle de conférences autour de la numérisation dans les entreprises innovantes est porté par le BETA (Bureau d’Economie Théorique et Appliquée de l’université de Strasbourg), la CCI Alsace et VOIRIN, Conseil en Management avec la collaboration d’ACCRO (ACtions pour un développement CRéatif des Organisations) et le soutien de la Chaire en Management de la Créativité.

Bernard STIRNWEISS, président de la CCI, inaugure le Stammtisch en rappelant que le rapport Lemoine (novembre 2014) sur la transformation numérique de l’économie française recommande explicitement de « s’élever au même niveau que le plan allemand Industrie 4.0 ». Après la machine à vapeur, l’électricité et l’électronique, une quatrième révolution industrielle est en marche. Et l’Allemagne a de l’avance dans la réflexion autour d’une stratégie nationale 4.0 !

Wittenstein AG est l’exemple même du groupe industriel allemand innovant. L’entreprise emploie 1900 personnes, réalise un CA de 254 millions d’euros, dont 60% à l’étranger. Son engagement pour faire advenir l’usine du futur en fait un pionnier en matière de flexibilité, d’échange entre les machines et de gestion des flux.

« Remplir la bulle »

Le Dr Wittenstein annonce l’objectif de son allocution : « remplir la bulle », c’est-à-dire donner du sens à l’expression « usine du futur », apporter des indications concrètes pour aider à façonner l’avenir. Les concepts de création de valeur et de mise en réseau n’ont rien de récent mais doivent être repensés. En Allemagne, les entreprises peuvent s’appuyer sur une plateforme nationale soutenue par les trois grandes fédérations professionnelles de la machine-outil (VDMA), des technologies de l’information et de la communication (BITKOM) et des industries électriques (ZVEI). Les grands groupes initient le mouvement et les PME sont entraînées. Wittenstein AG est spécialisé dans la mécatronique et fabrique des systèmes de propulsion. Son président la définit comme une entreprise « en restructuration permanente », guidée par un principe de « mise en réseau tous azimuts ».   Identifier les besoins Dans le site de Fellbach (Stuttgart) qui fabrique des roues dentées, le changement a été initié en se posant la question : où utiliser le 4.0 ? Le réel besoin était de pouvoir piloter les processus. Plusieurs réponses ont émergé :

    • La logistique

 

  • La disponibilité des machines

 

 

  • La planification de la production

 

 

 Le 4.0 se superpose aux principes traditionnels de la lean production. Il permet de contrôler l’information en temps réel. La révolution de l’Internet des Objets se fait aussi et surtout dans l’industrie.     Une utilisation intelligente des QR codes Des QR codes sont fixés partout, sur les machines, sur les produits. Ils sont facilement scannables par l’opérateur. Les informations remontent toutes les 30 minutes, contre 1 heure aupavant. Les déplacements des opérateurs ont été réduits de 40%. La maintenance s’en trouve facilitée. Si une machine est à l’arrêt, l’opérateur scanne le code QR et obtient rapidement une réponse. Il est en capacité de prendre une décision sans attendre. L’opérateur peut alors :

    • En savoir plus (obtenir le manuel d’instruction, connaître l’état)

 

  • Déclencher une commande

 

 

  • Demander une pièce de rechange

 

 

    L’opérateur est au centre du changement Le déploiement se fait avec les opérateurs, en interne, et pas avec un prestataire externe. Il faut partir du terrain et poser la question : « quel est votre problème ? ». Chaque entreprise doit trouver sa réponse. Le Dr Wittgenstein insiste sur l’importance d’avoir un environnement propice à la prise de décision. Il n’a pas hésité à investir 250 000 € pour cela ! On ne peut pas demander à un employé de prendre des décisions dans un cadre peu agréable, il faut aller au bout de la réflexion et travailler à tous les niveaux.

Capter et utiliser les données Le développement des interfaces va permettre une meilleure configuration des produits, des mises à jour fréquentes, et bénéficiera au client. Il renforce le lien entre développement et production, les cycles de développement s’accélèrent. L’usine intelligente permet de traiter rapidement l’information du client et vers le client. Wittenstein a mis en place un cloud, et tout l’enjeu est de capter les données et de les analyser. Pour développer des nouvelles qualifications, Wittenstein embauche des mathématiciens et des data scientists.     « Nous ne voulons plus de contrôles qualité » Dans le paradigme de l’industrie 4.0, la qualité est intrinsèque au système. Le Dr Wittenstein estime que 10 à 15 années seront nécessaires pour arriver à ce point de compréhension des processus.     Le changement est aussi organisationnel Quand l’opérateur devient décideur, ses prises de décisions sont plus rapides qu’au niveau de la direction. C’est évidemment un défi pour les dirigeants. Le Dr. Wittenstein défend une approche holistique : la révolution industrielle du 4.0 a aussi un impact sur le monde du travail et sur la société. Donner plus d’autonomie aux collaborateurs et de sens au travail est crucial, le changement doit se faire en adhésion avec eux. A ce niveau, les Européens ont un réel atout : le sens de la responsabilité peut permettre de faire mieux qu’en Chine ou aux États-Unis.  

Questions du public :

La place du personnel et son accompagnement. Pour manager l’usine du futur il faut parvenir à instaurer une réelle adhésion au projet 4.0. Toutes les équipes doivent participer au changement et non le subir. L’enjeu de management est d’activer la capacité d’innovation des collaborateurs, de ne pas la sous-estimer. La formation est cruciale : à Wittenstein, 80% du personnel tous métiers confondus participent à 5 jours de formation par an. L’espace

Chez Wittenstein, l’espace de travail est ouvert, la configuration est modulable pour éviter le cloisonnement. Les bureaux sont dotés de roulettes et les parois sont mobiles. A SALM aussi, on décloisonne pour apprendre à se côtoyer au fur et à mesure des projets mais «ça ne marche pas au premier projet, c’est un long chemin ». Open space également pour HAGER, pour qui la question de la collaboration entre équipes de par le monde n’est pas encore réglée. Là encore, il y a du chemin à parcourir dans l’utilisation des outils de communication à distance. Apprendre à apprendre Comment susciter un cercle vertueux d’apprentissage organisationnel ? Et quels liens avec la recherche ? Pour Hager, dans l’industrie 4.0 les grands laboratoires vont même être partie prenante de la gouvernance. Il faut passer de l’organisation responsable à l’organisation apprenante.

 

   

Table ronde avec Jean François BAPTISTE (HAGER) et Olivier OFFNER (SALM)

Jean François BAPTISTE (HAGER) : « L’industrie 4.0 ce n’est plus si on doit y aller, c’est comment on doit y aller ».

Uber offre un service de transport sans posséder aucune voiture, Airbnb offre des milliers de nuitées sans posséder un seul hôtel… Dans cette logique de plateforme, la création de valeur se déplace aujourd’hui vers la mise en relation avec le client. L’industrie 4.0 va aider à répondre à cet enjeu en offrant 2 possibilités :

  • La personnalisation
  • La production de masse

Pour Olivier OFFNER (SALM), les enjeux sont sensiblement les mêmes. D’une part, SALM est confronté à la pression sur les prix de son concurrent fabricant de meubles suédois. De l’autre, les consommateurs sont de plus en plus exigeants (« il faut s’attendre à tout », dixit Jean-François Baptiste). Les cuisines deviennent un produit de mode, les attentes des clients évoluent plus rapidement qu’avant et bousculent le temps long du développement. (Voir aussi cet article sur SALM)

Quel modèle d’affaire dans l’industrie 4.0 ?

Pour Jean-François BAPTISTE, la chaîne de valeur évolue, la repenser est « le plus difficile ». « Ouvrir la porte vers d’autres options est le plus dérangeant. » Olivier Offner explique que SALM passe par des concessionnaires, mais l’industrie 4.0 invite à repenser le modèle d’affaire. La logique de désintermédiation typique des plateformes offre un accès direct au consommateur et met les concessionnaires en porte-à-faux. Beaucoup de choses sont remises en cause dans le commerce.

L’utilisation de l’impression 3D dans l’industrie.

Jean François BAPTISTE et Olivier OFFNER expriment tous deux leurs scepticisme : en l’état actuel, la diversité des produits, matières et textures est trop pauvre. L’impression 3D trouve son utilité pour les prototypes mais pas pour la production finale.

La production de masse n’est pas finie en Europe

SALM déplore un retard de la robotisation totale en France. A Hager, toute la production destinée à l’Europe est fabriquée à Obernai, ce qui est rendu possible grâce à l’automatisation élevée. Le Dr Wittenstein souligne que la production de masse a encore de l’avenir en Europe. Passer par des circuits, maitriser les délais de production et livraison, avoir une usine au plus près du marché redeviennent importants dans le paradigme de l’industrie 4.0

L’industrie 4.0 permet d’être extrêmement innovants en donnant la possibilité de produire d’abord en petite série, puis de passer rapidement à une échelle supérieure et à la production de masse.

L’objectif à atteindre est de parvenir à concilier spécialisation et coût raisonnable.

La conclusion positive du Dr Wittenstein 

Le message a été compris en Allemagne. Les anciens modèles ne sont plus d’actualité, et la volonté de changement est là. La course est ouverte, et les Européens ont toutes leurs chances !

Pour aller plus loin :

« How Industrial Systems Are Turning Into Digital Services », 23 juin 2015, Harvard Business Review