L’invité d’honneur de Bizz&Buzz, festival du numérique, était cette année le Japon. Dans ce cadre, Tristan Lavier, manager de la communication internationale au comité d’organisation des Jeux de Tokyo en 2020 est intervenu à la CCI de Strasbourg jeudi dernier.
En partant de l’apparition des influenceurs et de leur impact sur les stratégies de communication, il s’est avéré nécessaire de modifier le sujet et plutôt de parler de transformation numérique au Japon. En effet, les influenceurs tels que nous les connaissons en Europe sont encore très rares au Japon et l’on parle plutôt de tarento : personnalités publiques uniques que l’on suit dans tout type d’événement (publicité, émission télévisée, supports de médias de masse …). La communication se fait par l’individu, par l’intermédiaire des marques et des annonceurs.
Pour avoir une idée du degré de transformation numérique, Tristan Lavier nous présente une anecdote : celle de la dissolution du groupe « Smap », boysband le plus en vogue ces 20 dernières années. Pour leur séparation, là où les adolescents occidentaux enverraient leur messages d’adieu par tweets et messages sur Facebook, les fans au Japon leur ont envoyé leurs derniers adieux par fax.
En communication, la technologie semble être aussi anachronique : le replay à la télévision, par exemple, n’existe pas. Il y a principalement des médias de masse tels que les journaux papiers (44 millions de journaux vendus par jours) et les émissions télévisées, et un marché de la publicité encore très florissant. Un indicateur intéressant est celui des bloqueurs de publicités sur Internet : alors qu’en Europe ou aux USA, même les populations « plus âgées » utilisent des bloqueurs de publicité, les jeunes et adolescents au Japon n’en font pas usage.
Ainsi, on constate un réel fossé culturel entre les Européens et les Japonais. Il n’y a pas de « like », pas de commentaires, pas de tweets sur la place publique des Japonais. Et cela est valable sur tous les comportements en ligne et les réseaux sociaux. Pour autant, le Japon est le second marché mondial après les Etats-Unis sur Twitter et ce, en raison de la publicité.
Le problème des influenceurs nés sur Internet au Japon est qu’il leur est difficile d’être rémunérés pour leur travail. En effet, il est considéré comme flatteur pour une icône du digital d’être invitée sur un plateau télévisé ou de donner son image pour une publicité : il n’est pas vu comme un professionnel, contrairement au tarento. D’autre part, la perte de contrôle sur son image et sa personnalité, largement acceptée par les tarento, est difficile pour les influenceurs qui se distinguent justement par leur avis et leurs opinions.
Tristan Lavier nous propose alors quelques pistes pour comprendre le retard du Japon en matière de marketing digital : une structure top down très (trop) conventionnelle, un repos trop important sur les indicateurs de performance, une main d’œuvre et des ressources insuffisantes et enfin une évolution du paysage numérique trop rapide. On observe ainsi un déroutant décalage entre les technologies et compétences de pointe présentes au Japon, notamment en robotique, et le relatif retard constaté sur le plan du marketing digital. Décalage qu’il était possible de ressentir lors de Bizz&Buzz. Un jour, la compagnie aérienne japonaise ANA faisait écho des impressionnantes avancées technologiques du Japon et, le lendemain, on réalise le retard du pays en matière de marketing digital.
Il y a actuellement un manque de stratégie digitale et d’influenceurs digitaux, certainement dû au fait que les médias de masse et leur stratégie de communication fonctionnent encore parfaitement, il n’est donc pas nécessaire de changer les manières de procéder.
Cependant, cette situation commence déjà à changer et les prochaines échéances étrangères (notamment les prochains jeux de Tokyo en 2020) vont inciter le Japon à s’ouvrir au digital, car les entreprises japonaises vont devoir se mettre à niveau pour répondre à la demande des touristes étrangers.
Par Patricia Bonin