L’Open Data et la santé : que fait la France ?



Le 3 octobre dernier, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a reçu le Rapport sur la gouvernance et l’utilisation des données de santé, qui lui a été remis par Pierre-Louis Bras (inspecteur général des affaires sociales). L’occasion de rouvrir le débat sur l’importance de l’accès à ces données, qui représentent un formidable potentiel d’évolution du système de santé français.

 

Un fort potentiel à exploiter

En France, ce ne sont pas moins de 1,2 milliard de feuilles de soins, 500 millions d’actes médicaux et 15 millions de séjours hospitaliers qui sont traités et stockés chaque année par le Système National d’Information Inter-Régime de l’Assurance Maladie. En théorie donc, la France a une belle longueur d’avance dans le Big Data en santé. En pratique, cela n’est pas tout à fait exact : actuellement, seule l’administration peut accéder à ces données, et elle n’en fait pas grand-chose.

Pourtant, l’ouverture à ces données permettrait une avancée considérable du système de santé en France, que ce soit pour les patients comme pour l’Etat. Outre des économies substantielles sur le plan financier, un accès universel aux données de santé permettrait également de sauver des vies : en France, on estime qu’environ 6 000 personnes décèdent chaque année suite à des prescriptions erronées ou injustifiées[1]. De plus, en 2012, un acte sur quatre en France n’aurait pas été justifié[2]. Dans son rapport de février 2013[3], l’Institut Montaigne soulignait qu’il était prioritaire de développer le numérique dans la filière de la santé et de la dépendance, notamment grâce à la mutualisation des informations entre les différents acteurs (hôpitaux, médecins, pharmaciens, etc.) au travers du Dossier Médical Personnel (DMP). Connaître l’historique médical d’un patient permettrait en effet d’éviter des erreurs, par exemple à cause d’une allergie non connue ou encore parce que le patient lui-même a omis volontairement de signaler des antécédents afin de préserver sa vie privée.

D’autre part, la généralisation du DMP contribuerait également à réduire le temps de traitement administratif qui incombe aux praticiens et permettrait ainsi d’optimiser le « temps médical » disponible.

 

Comment gérer des données aussi sensibles ?

La France reste très frileuse quant au Big Data dans le domaine de la santé, alors que ses voisins européens, à l’image de la Grande-Bretagne ou de la Suède, ont bien compris l’utilité et l’importance de l’ouverture des données de santé et n’ont pas hésité longuement à passer de la théorie à la pratique, et cela est également le cas aux Etats-Unis. En France, divers arguments sont avancés pour repousser l’ouverture à ces données : le secret médical, l’anonymat des patients, la sensibilité des informations…

Bien évidemment, les données liées à la santé et au domaine médical sont très sensibles, et complexes à gérer eu égard au droit à l’anonymat et au secret médical. D’autre part, comme pour toute information (qu’elle soit dématérialisée ou non), se pose la question de la sécurité : ces données médicales peuvent elles aussi être piratées et utilisées à des fins nuisibles. L’accès à ces données appelle donc l’instauration de dispositions légales pour encadrer les pratiques qui émergeront, et ainsi garantir la sécurité des données comme des patients ; si pour l’heure la CNIL veille, on peut toutefois se demander si les cadres légaux en place seront suffisants lorsque que ce phénomène prendra de l’ampleur.

Il paraît clair que le Big Data en santé ne peut se faire sans un encadrement légal fort ; néanmoins, il existe déjà en France des données que l’on pourrait qualifier de sensibles qui sont collectées et stockées informatiquement. En effet, la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) recueille des informations à caractère médical lors de la télétransmission des feuilles de soin. Ces informations sont scrupuleusement rendues anonymes, et jusqu’à présent aucun scandale lié à une quelconque fuite n’a éclaté : c’est bien là la preuve que l’on peut et que l’on sait gérer des données de santé !

 

Quel avenir pour le Big Data en santé ?

Mis en place depuis 2004 en France, le DMP n’est de loin pas généralisé ; d’autre part, les patients ont la possibilité d’en faire disparaître certaines informations. Le manque de pilotage politique comme le manque de concertations entre les professionnels de la santé a également freiné son développement.

Il est urgent que la France prenne conscience des enjeux que représente le Big Data en santé, que ce soit pour les patients, pour les praticiens comme pour l’Etat. D’autre part, un investissement sur la technologie ne sera pas suffisant : il faut également prévoir l’accompagnement des patients, pour leur donner confiance et leur permettre de comprendre comment et dans quel but leurs données sont gérées et partagées.

Le rapport[4] remis par Anne Lauvergeon au président Hollande le 18 octobre abonde en ce sens : parmi les sept axes dégagés pour l’avenir de la France dans le cadre de la commission Innovation 2030, elle conseille notamment de miser sur le Big Data. Elle souligne que l’exploitation des données massives est un « enjeu primordial ». Cet axe en rejoint un autre, également développé dans le rapport : celui de la médecine individualisée. Il est souligné que l’évolution de la médecine dépend de trois facteurs, dont « l’intégration du potentiel du numérique dans la médecine ».


[2] TNS Sofres pour la Fédération Hospitalière de France, Les médecins face aux pratiques d’actes injustifiés, juillet 2012.

[4] Un principe et sept ambitions pour l’innovation, commission sous la présidence d’Anne Lauvergeon, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000682/0000.pdf