Université d’Hiver : l’ère (aire) digitale, quel terrain de jeu pour le management?



logo_entreprise&personnelLe 15 janvier dernier, Entreprise et Personnel représenté par Jean-Paul Bailly, Sandra Enlart et Martine Le Boulaire organisait sa 6ème Université d’hiver sur le thème « l’ère (aire) digitale, quel terrain de jeu pour le management ? »

Le propos est d’actualité avec des dimensions multiples qui ont fait l’objet de partages de reflexions et d’experiences éclairantes de la part d’experts du monde universitaire et de l’entreprise. Le Lab des Usages vous propose une restitution de certaines de ces réflexions.

  • Conférence n°1 : Vers l’« ubérisation » du monde ?

Luc Ferry, philosophe, nous livre quelques pistes d’analyse sur le thème de l’ubérisation du monde en reprenant le titre d’un article de Maurice Levy de 2015.

L’essentiel du propos de Luc Ferry tourne autour du principe de l’innovation destructrice décrit par l’économiste Schumpeter. L’ubérisation serait la traduction de ce principe avec des conditions de mise en oeuvre rendues possibles par ce que Jeremy Rifkin appelle la 3ème révolution industrielle.

Tout cela permettrait l’avènement de l’économie du partage avec la fin de la propriété au profit l’usage, la fin du travail et la fin du profit avec un cout marginal de zéro.

Pour Luc Ferry, cela conduit à l’apparition d’un monde hypercapitaliste avec de nouvelles plateformes de type monopolistique. Il fait notamment référence à l’économie biface analysée par Jean Tirole. Dans ce contexte, l’impact social est potentiellement fort. Il cite le rapport de Roland Berger sur la disparition de la classe moyenne avec la suppression de 3 million d’emplois d’ici 2025.

Mais il y a aussi créations d’emploi dans d’autres secteurs, sans qu’il y ait bénéfice de l’un pour l’autre.

Pour Luc Ferry, l’innovation tire la croissance et elle est donc nécessaire. Il continue également sur la transformation du mode de management sous un mode horizontal, qui est aussi une tendance mais qui pour lui est un mode de mise en concurrence plus que de qualité de vie. Le point principal de sa réflexion est la capacité à créer de la richesse et de savoir ensuite comment la repartir.

  • Table ronde 1 : Ere numérique : quel déplacement des pouvoirs ?

Les intervenants, pour cette table ronde, sont Monique Dagnaud, sociologue, et Yann Moulier Boutang, professeur d’Economie UTC et directeur de la revue Multitudes.

Monique Dagnaud, dont le thème d’intérêt est la relation des 15/25 ans avec les medias, publie notamment des commentaires d’études sur le site Telos : http://www.telos-eu.com/auteur/42/monique-dagnaud.html. Yann Moulier quant à lui est co-auteur du « capitalisme cognitif » http://blogs.lse.ac.uk/lsereviewofbooks/2012/08/18/book-review-cognitive-capitalism-by-yann-moulier-boutang/.

Pour Yves Moulier il est important de ne pas confondre numérique et informatique.

Il y a selon lui une naïveté dans la compréhension de l’interaction entre l’homme et la machine. La confusion viendrait du fait de croire que la culture numérique repose uniquement sur l’équipement, et de penser que le capital intellectuel suivra. Il cite à ce propos les recommandations de Gerard Berry sur la formation en informatique. Le numérique est un outil, mais la technologie permet un usage qui peut être abrutissant ou intelligent.

D’autre part, il faut qu’il y ait de la rupture pour qu’il y ait de l’innovation. C’est selon lui un élément exogène massif, d’où l’importance de basculer dans le capitalisme cognitif : l’efficacité réside dans les processus d’apprentissage et d’innovation. La capacité créatrice est dans la tête des détenteurs des connaissances.

En tant qu’utilisateur des outils, il est aussi important d’avoir une formation critique à la façon dont les outils numériques sont construits et utilisés. Cela nécessite une nouvelle culture du code qui doit nous accompagner dans nos usages comme le suggère Dominique Cardon.

Une autre analyse à prendre en compte est celle d’Evgeny Morozov dans le livre « Net Delusion », où le besoin d’autonomie coexiste avec l’appropriation des processus et des outils.

  • Table ronde 2 : Digitalisation : Comment diriger aujourd’hui ?

Les intervenants sont Real Jacob de l’Université de Montréal, Michel Lallement professeur de Sociologie au CNAM, Olivier Nollent directeur Grands Comptes de Microsoft et Stéphane Durand directeur RH de la Direction Industrielle e Supply Chain chez PSA.

Les propos de cette table ronde sont orientés sur la transformation dans façon de travailler, et le rôle du manager dans cette transformation.

Pour Olivier Nollent, les outils et la culture d’entrerprise permettent une très grande autonomie et une flexibilité de la part des salariés. Un aspect plus délicat à réaliser est la dimension collaborative. Pour cela, il faut créer des incitations qui vont promouvoir cet esprit de collaboration. Michel Lallement parle d’une alliance paradoxale entre autonomie et contraintes.

L’essentiel est de redonner du sens au travail avec une prise d’initiative et d’offrir de l’autonomie. En même temps, on constate une pression due au marché et des requêtes “bureaucratiques” voir des organisations en silos. Il y a donc une contradiction entre les deux. Real Jacob nous parle de technique de changement d’état d’esprit, avec la chaine de valeur virtuelle. En effet, la gestion en mode virtuel permet de comprendre la valeur de la contribution de chacun. Réal Jacob suggère l’utilisation de ce qu’il appelle le “T Shape management”. Il s’agit de permettre d’avoir à la fois un modèle de partage et de transfert de connaissance avec la partie horizontale du T, et la promotion de l’expertise individuelle via la partie verticale. Pour lui les jeunes sont un puissant vecteur de transformation et il est essentiel de gérer le capital social de la base vers le haut.

Stéphane Durant quant à lui parle de la vitesse de la transformation : le top management est là pour éclairer l’avenir. Il est nécessaire d’avoir une adaptation du cadre du travail qui soit propice au changement avec des espaces de type “coworking” pour le nouveau siège de PSA ainsi que pour les autres sites. Le partage de la connaissance est aussi essentiel avec le modèle « outside in » d’intégration du savoir.

D’un point vue opérationnel, c’est le manager qui porte la transformation. Il doit être crédible par sa connaissance des métiers de son équipe et par sa capacité à conduire le progrès en donnant de l’autonomie. Il faut de nouvelles valeurs pour guider l’action.

  • Atelier 2 : Transformation digitale : une autre approche du changement

Les intervenants sont : Lubomira Rochet, Chief Digital Officer et Nicolas Pauthier, vice president of Human Resources Digital  tous les deux chez l’Oréal.

L’atelier débute par une introduction de Lubomira présentant le contexte d’une révolution d’usage: la vie des personnes a été digitalisée, n’importe qui devient éditeur de contenu et les attentes des consommateurs ont augmentés. L’organisation des entreprises doit être plus centrée sur les utilisateurs et sur les employés. L’Oréal est une entreprise de compagnons et Lubomira parle de la notion de compagnonnage digital. Cela se traduit notamment au niveau du management.

Mener une transformation digitale s’opère dans un environnement de type “VUCA” : Volatile, Uncertain, Complex and Ambiguous. C’est un changement transverse qui nécessite de fixer un cap, d’avoir des priorités claires et de pouvoir s’adapter. Il faut notamment travailler sur l’impact du business model.

Les priorités pour l’Oréal sont les suivantes :

  • La distribution via l’e-commerce en raison de la croissance de ce canal (+30%)
  • L’établissement des relations directes avec le consommateur
  • La réinvention du modèle marketing : faire tout ce que l’on faisait auparavant mais en ajoutant des connexions avec les influenceurs

Les enjeux pour les Ressources Humaines sont notamment l’acquisition des talents, et des enjeux massifs d’éducation et de formation. En effet, L’Oréal prévoit la création de 1000 postes dans les métiers digitaux et le recrutement d’experts au niveau local. On retrouve néanmoins une contradiction entre la volonté de casser les silos et celle de créer un silo digital, dont le budget de formation représente 10% du montant total alloué aux formations.

L’accent est également donné sur le rôle du management, celui-ci étant critique dans cette transformation. Il intervient selon 3 principes : « test and learn », favoriser la prise de risque, et donner la vision (on rejoint ici les propos de Peugeot lors d’une autre table ronde). Cela conduit à travailler sur les valeurs avec le programme “Simplicity” : il est essentiel de définir, simplifier et expliquer le digital dans la dimension d’usage. Démystifier veut aussi dire rassurer et faire rêver. La tranformation s’opère en binôme entre un expert digital et un manageur ayant l’experience de l’entreprise.