Smart city, épisode 6: finalement, on fait quoi ?

@storyset (6)
24 avril 2018

Précédemment dans « smart city », nous nous sommes penchés sur les bases de la gouvernance de la smart city et sur les bouleversements qu’elle implique. Pour ce nouvel épisode, continuons à creuser un peu plus loin pour mieux comprendre le positionnement des acteurs de la smart city dans sa gouvernance.

PARTICIPATION CITOYENNE ET INNOVATION, MAIN DANS LA MAIN

Sur le plan des objectifs des nouveaux modes de gouvernance décrits à l’épisode précédent, Meijer et Rodríguez Bolívar (2016) soulignent deux motifs de légitimité : les résultats et les processus. Dans le premier cas, ce sont les contenus des actions gouvernementales qui sont mis en avant avec pour objectif la production de meilleurs résultats. Les moyens d’arriver à ces résultats restent cependant plus énigmatiques. Kourtit et al (2012) soulignent le caractère hétérogène et contextuel des villes et le fait que la gouvernance doit s’inscrire dans des effets de sentiers tracés par l’histoire. Sur le plan des processus comme motif de légitimité, nous retrouvons l’idée de participation citoyenne et des parties prenantes souvent mentionnée dans les conceptualisations décrites précédemment. Il s’agit notamment de créer des écosystèmes d’apprentissage, de création de connaissance et d’innovation. Schaffers et al (2011) par exemple décrivent la smart city comme un environnement d’innovation ouverte et guidée par les utilisateurs. Ils proposent dans ce cadre les living labs comme un modèle d’organisation performant permettant la collaboration entre les citoyens, les entreprises et les gouvernements locaux. L’open data est également un moyen de développer et stimuler l’intelligence collective des villes. Il est cependant nécessaire de gérer et contrôler l’accès aux données, les grandes entreprises du numérique pouvant être les seules à profiter réellement de ces données.

Les difficultés conceptuelles de la smart city se répercutent sur la gouvernance. Meijer et Rodríguez Bolívar (2016) concluent en effet que la littérature actuelle est confuse à plusieurs niveaux. Les perspectives technique et sociale de la smart city impliquent tout d’abord des modes de gouvernance différents, parfois opposés. Il est ici nécessaire d’étudier l’interaction entre la technologie et la structure sociale afin de comprendre comment les réseaux sociotechniques émergent. Sur la question de la transformation des structures gouvernementales, le postulat implicite est qu’une transformation vers des administrations innovantes et collaboratives est ipso facto plus efficace. Ce postulat doit être questionné et la pertinence de la transformation des structures existantes évaluée. Les motifs de légitimité rentrent ici en considération. L’accent est mis sur des résultats (durabilité) et des processus (collaboration) post-matériels souhaitables en tant que tel. La contribution de la gouvernance sur les grands agrégats économiques et la valeur des services publics est généralement exclue des débats. Si la smart city peut être vue comme un processus d’innovation (Nam et Padro, 2011), la question est de savoir qui du secteur public ou du secteur privé porte les innovations, selon quelles circonstances et par quels mécanismes de coordination. Ce sont l’ensemble des mécanismes de concertations et d’alignement des intérêts qui doivent être mis à jour afin de comprendre comment les rôles sont redistribués au sein de la smart city.

SE POSITIONNER DANS LA GOUVERNANCE DE LA SMART CITY

Attour et Rallet (2014) apportent une réponse intéressante concernant les problématiques de coordination et d’incitation dans le développement d’offres multi-services qui implique un nombre important d’acteurs différents. En effet, la grande hétérogénéité d’acteurs potentiellement engagés dans ces innovations pose la question de la collaboration et du partage de la valeur ajoutée de l’innovation entre des acteurs aux intérêts souvent divergents. Les données notamment, au cœur de ces nouveaux services, constituent parfois des actifs essentiels pour les entreprises et les formes d’organisation de leur partage doit dès lors leur garantir la propriété et le retour sur investissement attendu. Dans ce contexte, Attour et Rallet (2014) utilisent la notion de plateforme économique comme instrument de coordination des écosystèmes. Prenant l’exemple des bouquets de services NFC, ils montrent que la ville se positionne comme la « firme pivot » permettant de faciliter les interactions entre les fournisseurs d’application et les utilisateurs finaux. Dans la même logique que les marchés bifaces, le territoire, par la ville et ses services urbains, joue bien le rôle de plateforme économique permettant de résoudre les problèmes de coordination et d’incitation inhérents à ce type de projet et conduire l’innovation jusqu’à l’utilisateur final.

Le modèle de la triple hélice mis en avant par Leydesdorff et Deakin (2011) dans le cadre de la production des connaissances apporte également un éclairage théorique sur la gouvernance de la smart city. Pour eux, la ville peut être considérée comme des densités de réseaux parmi les dynamiques gouvernementales, industrielles et universitaires et ainsi constituer le lieu d’émergence d’un système d’innovation. La production de connaissance traditionnellement représentée par les forces de l’économie de marché est ici remplacée par les communautés qui se créent autour de et entre ses trois institutions. Dans ce sens, la ville ne doit pas seulement faire en sorte que son capital intellectuel rencontre la création de richesse permise par l’économie de marché mais doit devenir le centre d’espaces créatifs dont la gouvernance est modelée par les communautés de législateurs, de leaders académiques et des stratèges d’entreprise. Ainsi, l’approche néo-évolutionniste du modèle de la triple hélice met l’accent sur les bases informationnelles et systèmes de communication dont le capital intellectuel des réseaux d’interaction et les attributs culturels sous-jacents deviennent des éléments stratégiques (Deakin, 2014). Dans ce cadre, une gouvernance participative permet aux développements technologiques, et notamment les TIC, d’intégrer les réseaux nécessaires à la création de valeur ajoutée. Dans cette même idée, Lombardi et al (2014) étendent ce modèle en proposant un modèle de quadruples hélices intégrant directement la société civile dans les réseaux d’interactions.

LA DONNÉE, UN ÉLÉMENT CENTRAL DE LA GOUVERNANCE À NE PAS NÉGLIGER

La question de la gouvernance de la smart city est ainsi liée en grande partie aux problématiques d’innovation et la manière dont le secteur public participe aux réseaux d’innovation. Néanmoins, la place de plus en plus importante prise par les données dans la gouvernance des villes doit être mentionnée. Car en effet, le Big Data constitue l’un des points focal de la smart city. Comme nous l’avons vu dans la section précédente, les centres de contrôle et l’usage toujours plus important d’algorithmes dans la gouvernance opérationnelle de la ville amène à la conception des villes dirigées par les données. Notamment, les réseaux de capteurs et les possibilités de « reality mining » (Eagle et Pentland, 2006) permettent d’instrumentaliser la ville afin de comprendre les patterns des mouvements collectifs et ainsi contrôler et réagir en temps réel aux différents évènements à gérer. En d’autres termes, les villes deviennent connaissables et contrôlables. Nous entrons ici dans le domaine des nouvelles sciences de la ville (Batty, 2013) qui proposent de stimulants résultats sur la manière d’aborder le phénomène urbain. Néanmoins, comme le souligne Kitchin (2015), ces données et algorithmes sont loin d’être aussi neutres et apolitiques que revendiquées. En effet, les données ne peuvent pas exister indépendamment des idées, technologies, personnes et contextes qui les produisent, analysent et stockent. Les données générées sont ainsi le produit de choix et contraintes façonnés par tout un ensemble de considérations techniques, culturelles, politiques et sociales. De plus, le risque est également de tomber dans une gouvernance purement technocratique tout en subissant un phénomène de lock-in technologique amenant à des positions de monopole par les grands acteurs des TIC (Kitchin, 2014).

ET LA VILLE DANS TOUT ÇA ?

Pour conclure cet arc sur la gouvernance, remarquons brièvement que du point de vue purement organisationnel, les projets de smart city semblent s’adapter aux besoins de collaboration bien que cela ne soit encore qu’émergent. Dans son rapport sur les smart cities en France, la CGDD (2016) souligne que toutes les villes s’appuient sur un portage politique fort, généralement à travers un comité de pilotage d’élus. En revanche, le pilotage de la smart city par les services peut prendre différentes formes. Nous retrouvons parmi ces formes les approches par projets afin de transcender les structures hiérarchiques (par exemple Montpellier), la création d’une direction spécifique déléguée à la smart city et s’appuyant sur des comités de pilotage afin d’apporter la transversalité nécessaire à la démarche (Rennes, Toulouse, Lyon) ou encore la création de structures ad hoc soit en interne à la municipalité (Paris, Grenoble), soit en externe sous la forme d’une société d’économie mixte (Issy-les-Moulineaux, Chartres). La recherche de la transversalité semble se dessiner derrière ces modes d’organisation, cependant, le CGDD (2016) conclu à des modes de gouvernance encore peu aboutie et restant majoritairement sectoriels et par métier. Dans le même ordre d’idée, Alawadhi et al. (2011), dans une étude sur Philadelphie, Seattle, Québec et Mexico, trouvent que l’organisation varie entre des approches participatives, hiérarchiques ou hybrides. Dans certains cas, un comité de direction formé des directeurs des multiples départements impliqués est l’organe décisionnaire alors que dans d’autres, aucun organe formel n’existe.

Enfin, une étude de La Fabrique de la cité (2015) sur les villes de Boston, New York, Pittsburgh, Los Angeles et Chicago montre que les villes américaines créent de plus en plus de départements dont l’objectif est d’analyser et croiser les données afin d’exploiter les possibilités de gestion et gouvernance algorithmique. Ces départements s’accompagnent de la création d’un nouveau poste, celui de « chief data officer » dont le rôle est d’assurer le croisement et l’analyse des données mais également de créer des indicateurs clés de performance.

Sources :

  • Image d’illustration @storyset
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